“La vie est ce qu’il vous arrive en dehors de vos plans”, disait John Lennon. Je dois quand même vous raconter un petit évenement qui est arrivé hier lors de ma conférence dans l’école des génies de l’art de Séoul, à la fin de la conférence le directeur de l’école me présente une jeune fille de 16 ans et me dit que je dois lui parler.
Il y avait à coté de moi ma traductrice et un reporter qui filmait la scène.
Nous dialoguons et elle me dit qu’elle veut se suicider car elle a trop peur d’échouer dans ses études et que là elle sent qu’elle va rater l’examen et que cette idée lui est complètement insupportable. Et elle conclut en me disant:
“donnez moi une raison de ne pas mourir, monsieur Werber”.
Bon. Ca pour de l’inattendue c’était un peu fort. Je commence par demander au type qui filmait la scène de partir et j’en profite pour chercher des arguments car visiblement c’est un exercice nouveau: trouver des phrases qui arrivent à sauver. C’est peut être l’exercice le plus difficile pour un écrivain car visiblement si j’échoue cette personne va mettre fin à ses jours. D’abord je lui ai demandé de respirer amplement (car elle respirait qu’avec les épaules et pleurait en même temps) et j’ai profité qu’elle commençait à respirer un peu mieux pour chercher les bons mots. Je lui ai posé des questions sur sa vie et chaque fois elle revenait à l’idée que sa vie était une impasse qui aboutissait à sa fin inéluctable. C’était étrange de voir un esprit aussi fermé sur toute échappatoire. Alors j’ai cherché des arguments qui soient le moins possible de l’ordre de la philosophie et le plus de l’ordre du vécu et du ressenti physique. Je lui ai demandé si elle faisait du sport, si elle avait des amis, je lui ai demandé de parler de sa famille, des choses qui lui faisaient plaisir, de la nourriture qu’elle aimait et non plus de tout ce qui lui faisait peur. Elle ne le savait pas mais j’avais l’impression de passer la plus difficile épreuve d’oral avec pour risque si je ne trouvais pas les bons mots qu’elle mette fin à ses jours. Cela m’a pris une demi heure, elle a commencé à se tenir plus droite, a cesser de pleurer et à me regarder dans les yeux (jusque là elle avait le regard fuyant en parlant). A la fin elle est arrivée à sourire et elle m’a promis qu’elle allait se mettre au sport, au jogging en fait. Je crois que le sport et les voyages sont la meilleure réponse à ce genre de situation où les gens sont comme des locomotives lancées sur le mauvais rail.
C’était étonnant de voir toute son intelligence uniquement tourné vers sa propre destruction (le directeur m’a dit confié par la suite que c’était la meilleure élève de sa classe en plus) mais bon je crois que cela allait mieux après.
Mon copain Gilles dit “Tout les problèmes peuvent se résoudre par la géographie” j’ai donc insisté pour qu’elle sorte de son université (elle y passait tout son temps) qu’elle marche en forêt, qu’elle courre, qu’elle nage, qu’elle quitte Séoul, qu’elle ne reste pas comme “une chatte sur un toit brulant”.
J’ai essayé de blaguer sur son école qui n’était qu’une petite étape de toute sa vie qui connaitrait forcément des épisodes encore plus passionants.
Je lui a demandé de s’imaginer dans le futur grande artiste qui réussit pour ses oeuvres et non pas pour ses études.
Je lui ai dit qu’il était normal qu’elle soit plus sensible mais qu’elle devait tourner cette sensibilité vers son art et non contre elle même. C’est de l’énergie à canaliser. J’espère que ma traductrice a bien traduit (elle était elle aussi consciente de la gravité de l’instant et avait peur que j’échoue).
En partant l’étudiante retenait des petits éclats de rire nerveux et elle me disait qu’elle avait compris. J’espère qu’elle l’a vraiment compris en profondeur et qu’elle n’a pas dit cela pour me rassurer sur le moment, mais bon il m’a semblé avoir fait le mieux possible pour ralentir sa déprime. Il parait que la Corée est un des pays ou il y a le plus de suicides parce que les étudiants se mettent une pression énorme. Là je viens de voir de près le problème de près, j’ai été très impressioné, et j’espère avoir aidé cette personne. Voilà il me semble que c’était une vraie épreuve en tout cas, pour ma part je n’ai jamais eu aussi peur de ne pas trouver les bonnes phrases au bon moment. Voilà je voulais vous faire partager cet instant particulier. La vie c’est vraiment ce qui vous arrive quand vous vous y attendez le moins.”