UN TRAVAIL DE FOURMI SIGNE WERBER
A 60 ans, l'auteur dresse un bilan
de son incroyable parcours dans une
autobiographie émaillée de savoureuses
anecdotes. Le récit intime d'un homme
pour qui l'écriture a toujours été un refuge
lui offrant liberté et émancipation.
PAR LÉONARD DESBRIÈRES.
Certains livres, au moment de les ouvrir,
génèrent une curiosité et une excitation
particulières, l'émotion sincère de
découvrir une histoire que l'on n'aurait
peut-être pas imaginé lire un jour. Les
Mémoires d'une fourmi, de Bernard
Werber, sont incontestablement de ceux-là. Trente ans
après le début de son époustouflante carrière d'écrivain,
le plus singulier de nos romanciers, l'un des auteurs fran-
çais contemporains les plus lus au monde, avec près de
30 millions de fidèles, surprend et délaisse un temps la
fiction pour se dévoiler au grand jour. L'occasion pour les
lecteurs, connaisseurs comme profanes, de plonger à
l'intérieur d'un esprit unique et génial et de comprendre
enfin les ressorts d'une vie et d'une œuvre à part, qui ont
toujours été intimement liées.
Le manifeste d'un moine romancier
On aurait été étonné de voir Bernard Werber adopter un
classicisme froid pour se frotter à l'exercice autobiogra-
phique. Fidèle au mysticisme qui l'étreint depuis
toujours, il nous invite à une savoureuse séance
WERBE
divinatoire et se sert des cartes pour plonger dans
les méandres de sa vie. Vingt-deux chapitres cor-
respondant aux arcanes d'un jeu de tarot, et
autant de figures qui représentent rendez-vous,
épreuves et étapes de son parcours.
À travers un récit enlevé, peuplé de bonnes for-
mules et d'anecdotes savoureuses, il retrace
soivante ans d'une folle existence. Son enfance
chahutée, durant laquelle l'auteur a cherché sa
place malgré les différences, lutté contre une
spondylarthrite ankylosante, maladie
inflammatoire chronique dont il souffre toujours. L'écriture
interminable des Fourmis - 17 versions de 1000 pages
et plus de douze ans de travail - menée de front avec une
carrière de journaliste mouvementée. Cette imagina-
tion sans limite peuplée d'anges et de dieux, d'abeilles et
de chats. Les rencontres et les questionnements spiri-
tuels qui nourrissent encore sa littérature...
Plus qu'une autobiographie, Mémoires d'une
fourmi est aussi le récit touchant d'un homme
qui n'a jamais tout à fait trouvé sa place dans
notre société corsetée régie par une rationalité
résignée, et celui d'un écrivain qui s'est réfugié
dans la fiction pour éprouver sa liberté. Dans la
lignée d'Edgar Allan Poe, Stephen King ou Phi-
lip K. Dick. Bernard Werber écrit avec ce livre le
manifeste d'un moine romancier dont l'œuvre
hors du commun, au carrefour de la saga mytho-
logique, du conte philosophique et de la science:
fiction, est tout entière une déclaration
à la puissance de l'imaginaire.
« Mémoires
d'une
fourmi»,
de Bernard
Werber, Albin
Michel, 432 p.,
21,90 €.