13 -“COMMENT J'AI DECOUVERT L'HYPNOSE". HISTOIRE REELLEMENT VECUE N°13.
Je me souviens.
C’était en Octobre 1992 à Bordeaux, en dédicace des Fourmis, dans un salon du livre, je discute avec mon voisin.
Il me dit qu’il a écrit un manuel pratique pour apprendre à hypnotiser.
Je lui demande s’il peut m’enseigner cette discipline.
Il me répond : « L’hypnotiseur n’a aucun mérite, c’est l’hypnotisé qui fait tout, la seule difficulté consiste à trouver de bons cobayes. »
Je propose donc à trois de mes lecteurs, deux hommes et une femme, de rester jusqu’à la fin de la dédicace pour faire une expérience d’hypnose. Ils acceptent et me retrouvent vers 17h00, à la fin de la dédicace.
Je commence par tester le plus grand et l’hypnotiseur me signale ce que je dois prononcer comme phrase :
« Fermez les yeux. Vous êtes raide comme une planche de bois. »
Le jeune homme ferme les yeux puis commence à pouffer de rire.
L’hypnotiseur me chuchote : « Laisse tomber, celui-là n’est pas le bon. »
Le cobaye me promet qu’il ne rira plus, mais l’hypnotiseur me dit : « Avec lui c’est fichu. »
Son ami se présente pour prendre la relève, mais comme les deux hommes se connaissent, l’hypnotiseur me déconseille de continuer avec ces deux-là.
Reste la jeune femme. Elle a vu que ses prédécesseurs ont échoué et elle est donc d’autant plus motivée pour réussir. Quand je lui propose de fermer les yeux, et de se sentir raide comme une planche, elle obtempère comme si elle avait peur de rater un examen.
- Et maintenant je lui dis quoi ? murmurais-je en direction de mon professeur.
- Maintenant elle est hypnotisée.
- Avec une seule phrase ?
- C’était un bon sujet. Pas comme les deux autres…
- Et on fait quoi maintenant ?
- Tu veux continuer ? Eh bien tu peux par exemple la mettre en équilibre entre deux chaises.
Alors suivant les indications de mon professeur en hypnose je répète :« Vous êtes raide comme une planche. »
Et les deux jeunes hommes qui ont échoué me servent d’assistants pour la prendre par les pieds et par les épaules.
Je dispose rapidement deux chaises écartées d’un mètre cinquante sur lesquelles les deux assistants déposent la jeune femme.
Je répète comme un mantra : « Votre corps est comme un morceau de bois, tendu et dur, vous êtes raide, complètement raide. »
Autour de nous une dizaine d’auteurs et une centaine de lecteurs peuvent nous voir. Ils circulent et discutent sans nous prêter la moindre attention.
La jeune femme tient rigide entre les deux chaises.
- Parfait, merci, dis-je à l’hypnotiseur, je ne pensais pas que c’était aussi simple.
- Ah mais ce n’est pas tout, vous pouvez aussi vous asseoir sur son ventre, elle tiendra.
- Vous plaisantez ? Je fais soixante-douze kilos elle doit en faire tout au plus cinquante, je ne veux pas prendre le risque de…
Mais déjà l’hypnotiseur fait signe au premier jeune homme cobaye qui avait échoué de s’asseoir sur la jeune femme toute raide. Il doit faire lui aussi plus de soixante-dix kilos et pourtant cela tient, même lorsque les pieds du jeune ne touchent plus le sol.
- C’est bon, dis-je, je suis convaincu. On peut la réveiller ?
- Attendez, dit l’hypnotiseur, on peut mettre une deuxième personne cela tiendra encore.
- Je préfère éviter.
L’hypnotiseur fait signe au second volontaire qui vient s’asseoir à côté du premier et qui, lui aussi, n’a plus les chaussures en contact avec le sol.
- Je préfère vraiment qu’on cesse, dis-je légèrement inquiet. Je voudrais la réveiller.
- Dommage on aurait pu mettre une troisième personne cela aurait tenu, regrette l’hypnotiseur.
Puis, alors que je fais signe aux deux hommes de descendre précautionneusement de la « femme-planche en équilibre entre deux chaises », et de la relever avec le maximum de délicatesse, l’hypnotiseur m’explique comment faire un décompte et claquer des doigts pour qu’elle se réveille.
- Trois, deux, un, je claque des doigts, elle ouvre les yeux.
- Ça va ? questionnais-je.
- Oui.
- Vous n’avez pas mal au dos, des courbatures ou des douleurs ?
- Non.
- Vous vous souvenez de quoi ?
- Vous m’avez demandé d’être raide et d’imaginer que j’étais une planche.
- Rien d’autre ?
- Non rien d’autre. Je suis contente que cela ait marché avec moi, signale-t-elle, en regardant les deux hommes qui eux aussi l’observent avec étonnement.
Je prends l’hypnotiseur à part.
- Comment est-ce possible ?
- En fait, elle s’est mise en tétanie, les muscles étaient tendus à l’extrême rien que par la force de la volonté. Cela suffit à la maintenir raide. Elle a consommé beaucoup d’énergie pour obtenir cet effet. Ce soir elle aura très faim et elle va bien dormir.
Ainsi s’est passé ma première séance d’apprenti hypnotiseur.
Par la suite, je me fis moi-même hypnotiser par mon ami magicien Pascal Leguern qui me suggéra de visualiser un cinéma dans lequel je voyais un film comique. Je fus pris d’une irrépressible envie de rire comme si je voyais vraiment ce film. Mais lorsqu’il me proposa de visualiser des moustiques qui me piquaient, je ne me grattais pas car ma mère m’avait très jeune mis la programmation « Bernard ne gratte jamais tes piqures de moustique ». Cette programmation plus ancienne étant bien ancrée, elle s’avérait plus puissante que la nouvelle proposition de Pascal.
Je constatais ainsi que je gardais totalement mon libre arbitre durant la séance. Je connaissais enfin les limites du système.
C’était finalement un système de « proposition-acceptation ». On me propose de fermer les yeux. On me propose de m’imaginer au cinéma. Je suis la demande ou je ne la suis pas. On me propose de rire, j’accepte, on me propose de me gratter, je refuse.
Je reçus d’autres instructeurs par la suite, notamment, l’auteur Alejandro Jodorowski qui m’apprit sa propre technique d’hypnose. À la fin de dîner entre amis, je commençais alors à pratiquer des séances pour ceux qui étaient intéressés. J’avais compris que plus je pratiquais, plus je comprenais comment améliorer l’efficacité de mes inductions.
Cependant, je mis rapidement fin à ces soirées car je voyais bien que certains me regardaient avec méfiance, comme si j’étais un magicien ou un sorcier.
Je me rendais par contre dans des spectacles d’hypnose et était toujours volontaire pour monter sur scène.
Je me souviens notamment d’une séance lors des rencontres Science frontières à Cavaillon où un célèbre hypnotiseur présentait son numéro. Il réclamait des volontaires et je me désignais aussitôt.
Nous étions quatre sur la scène, et il nous tendait à chacun une banane, tout en annonçant : « Grace à mon pouvoir d’hypnotiseur, je vais avec la seule force de la pensée persuader ces personnes que cette banane a un goût de citron. »
Alors qu’il parlait, je remarquais cependant un trou dans la base de ma banane, ce qui me fit penser qu’il avait dû injecter, avec une seringue, du jus de citron dans la base du fruit.
L’hypnotiseur vit que j’avais vu et il dit :
- Vous, là, le type à lunettes, vous êtes quoi myope, presbyte, astigmate ?
- Myope, monsieur.
- Ah ? Ce tour ne marche pas sur les myopes. Est-ce que quelqu’un sans lunettes peut venir le remplacer.
La suite du tour se passa comme prévu, car à force de manger la banane, ils arrivèrent à la zone où avait été injecté le jus de citron. Tous dirent que le goût avait changé pour devenir en effet plus « citronné ».
Cependant l’hypnotiseur m’en voulait d’avoir compris son truc, alors, au tour suivant, il lança :
- Vous le type myope à lunette, vous voulez toujours être cobaye ? J’ai un autre tour pour vous.
Je me retrouvais donc à nouveau avec quatre autres volontaires.
- Cette fois-ci, je vais vous proposer de toucher cette boule en fer. Vous voyez, elle est froide. Eh bien, rien qu’avec le pouvoir de la pensée, je vais vous donner l’impression qu’elle est chaude, au point de vous brûler. Certains auront même des cloques ou des vraies brûlures !
Il roule les yeux pour montrer le degré de puissance de son stimuli.
Il nous fait donc constater à chacun que la boule de métal est froide, puis il dit :
- Voilà, maintenant, je vais vous convaincre qu’elle est chaude.
La première personne touche et reconnaît qu’elle a l’impression que c’est tiède, la seconde que c’est un peu chaud et la troisième signale que c’est très chaud.
Quand il arrive à moi, il me fixe avec dureté :
- Alors je vous ai averti que certaines personnes allaient être brulées, vous doutez encore, monsieur le sceptique ?
J’observe la boule de fer.
- Je me doute que c’est bouillant puisque je vois que cela génère un peu de fumée, probablement du fait de la sueur déposée par les doigts des autres cobayes qui m’ont précédé.
Je n’osais lui dire que je pensais qu’à l’intérieur de la boule, il devait y avoir une zone remplie de sodium. Et comme je l’avais vu renverser la boule avant de nous la donner au deuxième tour, il avait certainement créé un contact entre l’eau et du sodium. Ce mélange produit un fort dégagement de chaleur.
Il afficha un air victorieux, et répondit simplement d’un ton clair.
- Donc vous n’osez pas la toucher par peur de vous brûler, n’est-ce pas ? Et vous reconnaissez que le pouvoir de la pensée peut créer des cloques !
Et il se tourna vers la salle qui l’applaudit bien fort.
Je venais de comprendre que dans ce domaine, l’hypnose, c’est comme partout, il y a des gens honnêtes et des malhonnêtes, et quand on me pose la question : « alors l’hypnose, ça marche ou ça ne marche pas ? », je réponds : « Ça marche, mais pas sur tout le monde et pas avec n’importe qui. Quant à la meilleure manière de le vérifier reste encore d’essayer. »
Malgré ses déceptions avec des truqueurs (même si je comprends qu’ils soient obligés d’utiliser des artifices pour ne pas risquer le fiasco devant leur public), je reste persuadé que l’hypnose est un bon outil d’exploration et d’action sur la pensée. Beaucoup d’amis ont arrêté de fumer, sont arrivés à mieux dormir ou ont surmonté leur phobie par l’hypnose. De même l’hypnose Ericksonienne me semble une méthode plus rapide et plus efficace que la psychanalyse freudienne pour dénouer les nœuds douloureux de son enfance. Mais là encore, cela dépend surtout de la personnalité et de l’honnêteté du thérapeute. Il n’y a pas de miracle, il n’y a pas de magie, il n’y a que la puissance de notre pensée qui, elle, n’a pas de limite.