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03.12.2017

PETITES HISTOIRES EXTRAORDINAIRES QUE J’AI REELLEMENT VECUES.
Elément de Puzzle numéro 07.

« COUP DE GUEULE »
C’était en Novembre 2003, à Paris, dans la brasserie de Saint Germain des près, des « Deux magots ».
Nous fêtions la sortie d’un livre de recueil de nouvelles titré « Erreurs avouées », l’ouvrage était initié et coordonné par la jeune écrivaine Tristane Banon.
Alors que nous buvions des coupes de champagne, un homme de belle prestance, en costume chic et avec des gestes distingués vient vers moi. Je le reconnus c’était le responsable d’une émission littéraire sur la radio nationale et le chef de rubrique littéraire d’un grand hebdomadaire. Il était aussi un juré influent de plusieurs grands prix littéraires et écrivain de romans et donc d’une des nouvelles de ce dit recueil.
- Ah Werber, il faut que je vous dise merci.
Il me tendit une main chaleureuse qu’il serra fermement.
- Enchanté, mais… hum… pourquoi ?
- Mon fils. Il ne lisait pas du tout. Il a 13 ans et il ne lisait que des bandes dessinées, il regardait la télévision ou était tout le temps sur son ordinateur. Cela commençait à me désespérer. Mais il a lu « les Fourmis », et cela a été le déclic. Non seulement il a lu la suite mais aussi les Thanatonautes (alors que vos livres sont plutôt épais et avec des couvertures plutot rébarbatives). Il s’intéresse maintenant à la science, et à l’histoire. C’est incroyable vous lui avez débloqué la porte du plaisir de lire des livres, et il parle des sujets évoqués dans vos ouvrages aux diners. D’ailleurs je devrais être jaloux. Il ne lit pas mes romans, alors que je suis son propre père. Mais bon je tenais vraiment à vous le dire, merci pour lui avoir donné le gout de la lecture.
Tout son visage exprimait la reconnaissance et venant de quelqu’un d’aussi important et influent dans le métier, je n’étais pas insensible au compliment.
- Hé bien de rien mais… simple question… cela ne vous a pas donné envie, enfin la curiosité, comme ça de… enfin… d’aller voir de quoi parlait par exemple « les Fourmis » ?
- Vous n’imaginez pas mes journées de travail ! Je dois lire parfois jusqu’à 3 livres par semaine ! Je n’en peux plus. Alors vraiment avec la meilleure volonté ce serait impossible d’en rajouter un.
Il me fixa.
- Attendez, finalement ce n’est quand même pas normal, vous touchez un large public, vous touchez les jeunes… et pourtant les journalistes n’ont aucune curiosité sur votre travail.
Cela eut l’air de le plonger soudain dans un abime de réflexions.
- En plus je crois savoir que vous êtes lu dans plus d’une trentaine de pays, donc vous êtes quelque part l’image de la nouvelle littérature française qui rayonne dans le monde entier, qu’on le veuille ou non. Et pourtant, il n’y en a pas beaucoup dans la profession qui ont l’appétence d’ouvrir ne serait qu’une page de vos ouvrages pour savoir de quoi ça parle.
- Il y a quand même quelques journalistes qui ont chroniqué mes ouvrages…
- Et puis vous n’avez jamais eu le moindre prix.
- Si des prix de lecteurs. Le prix des lectrices d’Elle, le prix des lecteurs de Sciences et Avenir, le prix des lecteurs du livre de poche…
- Ecoutez vu ce que vous avez fait pour mon fils et donc pour moi, je vais vous proposer quelque chose.
Il resta en suspens comme s’il cherchait la meilleure formule pour exprimer sa reconnaissance. Je ne pouvais m’empêcher de songer qu’il allait prononcer la phrase magique « vous lire » mais il dit :
- Nous avons dans le magazine une rubrique « Coup de gueule » donc ce que je vous propose c’est que vous poussiez un grand coup de gueule contre ces journalistes parisiens à l’esprit étriqué, qui ne se donnent même pas la peine, d’essayer de savoir ce qui intéresse les lecteurs et notamment les jeunes.
Il poursuivit seul son raisonnement.
- Ils sont juste dans une posture de mépris et d’ignorance ce qui est quand même un comble pour un métier sensé être précisément le contraire. Allez-y, dites tout ce que vous avez sur le cœur, il faut que les gens sachent comment fonctionne ce système complètement obsolète.
Je me dis que rien que pour rencontrer ce célèbre critique et entendre ça, cela valait le coup de participer à ce recueil si bien titré « Erreurs avouées ».
Une semaine plus tard une charmante journaliste, me contactait en effet et j’acceptais de répondre à son interview spécial « coup de gueule ». Nous nous retrouvâmes dans un café proche du métro « La bourse ».
- Je viens parce que mon chef m’a dit que vous étiez en colère contre le petit milieu fermé des journalistes parisiens critiques littéraires qui n’ont aucune curiosité, à fortiori sur votre travail.
- Pas du tout. Je ne suis pas en colère. J’ai été journaliste, (précisément dans votre magazine qui plus est, à la section science il y a de cela exactement 13 ans) et je comprends le système. Ce sont pour la plupart des universitaires dont l’esprit a été formaté pour n’aimer qu’une forme de littérature privilégiant le style or je suis plus dans la recherche de la bonne intrigue plutôt que de la jolie phrase.
Elle hocha la tête avec sérieux et commença à retranscrire mes réponses sur son calepin. Je poursuis en ralentissant pour lui laisser le temps d’écrire.
- Et c’est quoi le système ?
- Il sort en France 80 000 titres nouveaux par an, 80 000! donc les critiques utilisent l’argument légitime qu’il y a « beaucoup trop de livres publiés » pour expliquer qu’ils doivent faire une sélection subjective. Sans parler que tout ce qui ressemble au polar, au fantastique, ou à la science-fiction est considéré comme de la « littérature de genre ».
- Vous subissez un système qui fonctionne du coup essentiellement au copinage et au renvoi d’ascenseur entre confrères.
- Je devrais peut-être leur dire merci. C’est parce qu’ils ont fait le vide de tout ce qui est littérature d’imagination que je suis bien visible, comme un arbre dans le désert.
- Mais quand même, ce n’est pas normal que les lecteurs ne soient pas informés. Ceux qui se prétendent les défenseurs en sont finalement les fossoyeurs et on en veut pour preuve que le fait que les gens lisent de moins en moins et la plupart des jeunes ne lisent même pas du tout. Vous avez donc forcément envie dénoncer ce système sclérosé…
Je remarquais qu’elle n’utilisait pas de magnétophone pour enregistrer notre conversation et qu’elle se contentait de noter. Et encore elle n’écrivait que certaines de mes phrases de temps en temps, en laissant d’autres qui l’intéressait moins.
- J’accepte le système tel qu’il est. Cela ne changera pas, cela ne changera plus. Ils sont trop bien installés et ils ont leur habitude qui datent depuis bien longtemps. Tout est verrouillé. Déjà à son époque Rabelais se moquait des « pisses vinaigres » et des « sorbonnards » parisiens qui faisaient la pluie et le beau temps dans la profession en s’offrant entre eux des honneurs et en méprisant tout ce qui pouvait ressembler à de la culture populaire. Molière a dénoncé lui aussi ce qu’il nommait les « précieuses ridicules » qui régnaient sur les salons parisiens à la mode.
Elle semblait apprécier ces références. J’essayais de lui donner un peu de matière pour qu’elle puisse rédiger l’article « Coup de Gueule ».
- Déjà je trouve étrange qu’on puisse être en même temps critique « et » écrivain.
- Vous voulez dire qu’on ne peut pas être à la fois juge et parti ?
- Ils se retrouvent en position de juger leurs concurrents directs. Normal qu’ils détestent les livres susceptibles de toucher un large public. Et normal qu’ils encensent les ouvrages inconnus à petit tirage qui ne risquent pas de leur porter ombrage.
Elle approuva.
- Pour ma part je ne considère qu’un seul critique valable, dis-je.
- Qui ?
- … Le Temps.
Elle marqua un peu sa déception. Je poursuivais néanmoins.
- Le Temps révèle les ouvrages qui sont vraiment originaux et fait oublier ceux qui sont anodins. Tous mes maitres, que ce soit Boris Vian ou Jules Verne, Barjavel ou Philip K Dick n’ont été reconnus qu’après leur mort.
- Donc vous êtes en colère contre ce milieu qui ne sait pas détecter la nouveauté ?
Elle inscrivit avec précision sa propre question. J’eu soudain la désagréable impression que mes réponses ne l’intéressaient pas autant que ses propres interrogations.
- Non, je regrette surtout que les lecteurs ne puissent pas être informés de la diversité des littératures. Pour ma part, non seulement je ne suis pas en colère mais je me sens comblé de la chance que j’ai d’avoir une carrière qui va au-delà du succès d’un seul roman.
- Mais tout cela vous agace, forcément, n’est ce pas ?
- Mon éditeur m’avait averti « soit tu plais au public, soit tu plais aux critiques mais si tu intéresses l’un tu perds automatiquement l’autre ».
- Mais avouez, cela vous énerve. Je le sens à votre voix. J’ai même trouvé de bonnes critiques sur vous dans les grands journaux américains alors que vous n’avez rien de comparable dans votre propre pays.
Elle nota à nouveau sa propre question en se la répétant à tue-tête pour être sûre de ne pas en rater un mot.
- Aux Etats unis mon livre a été un bide. L’éditeur américain a fait un seul tirage et n’a pas réimprimé quand les livres se sont vendus, donc cela ne pouvait pas décoller. Comme vous voyez c’est l’un ou l’autre. Les critiques « ou » le public. Fromage ou dessert. Et les deux sont antinomiques.
Je vois à l’envers qu’elle note juste « état unis = échec ».
- Donc vous êtes en colère d’être reconnu là-bas par les critiques d’outre atlantique et pas ici, chez vous ?
J’ai quand même l’impression que nous nous répétons un peu, j’essaie cependant de garder mon calme et de lui donner matière à écrire.
- « Nul n’est prophète en son pays ».
- En fait vous êtes hors système dans un courant de littérature qu’on pourrait qualifier d’ « underground » ?
- J’écris des livres avec pour principal souci de donner envie aux gens de tourner les pages et d’arriver à une fin surprenante. Pour moi le livre est un objet de plaisir. Je ne sais pas si c’est cela qu’on peut appeler « littérature underground ».
- Donc vous êtes déçu que les critiques parisiens ne défendent que la littérature autobiographique déprimante nombriliste et ennuyeuse c’est cela ?
Elle semblait ravie de sa question.
- Si je suis déçu ce n’est pas pour moi, c’est pour la littérature française en général. En voyageant je constate que dès qu’on quitte l’hexagone l’image de notre littérature à l’étranger n’est pas bonne.
Elle cherche un nouvel axe de questionnement.
- Puisque vous étiez journaliste dans mon magazine il y a 13 ans vous avez du en voir des trucs bizarres, non ?
- Vous voulez des anecdotes ? Une fois à la réunion plénière du mercredi matin le rédac chef a annoncé : « Vu que nos journalistes qui écrivent des livres rédigent les critiques sur leur propre livre en signant avec un pseudo, j’ai peur que cela finisse par être repéré. Alors j’ai réfléchi et j’ai une proposition à vous faire. Au lieu que vous signez avec un pseudo inventé vous demanderez à un collègue le droit de signer l’article que vous avez fait sur votre propre livre avec son nom. Et en retour il vous rendra le même service. Comme cela au moins cela sera signé avec des noms de journalistes connus de la rédaction ».
Elle ne prit pas de notes et enchaina :
- Une autre anecdote ?
- J’avais proposé de faire une nécrologie de l’écrivain français Pierre Boule au chef de rubrique littéraire, il n’avait jamais entendu parler de cet auteur, alors j’ai dû l’informer que c’était l’écrivain de ces deux ouvrages : « Le Pont de la rivière Kwai » et de « La planète des Singes ». Il croyait que c’étaient des romans américains. Il m’a répondu « Désolé, je peux pas prendre ta nécro c’est un auteur de science-fiction »
Je retins un petit rire triste à l’évocation de ce souvenir. Elle ne notait toujours pas cette nouvelle histoire pourtant vécue.
Elle relut ses propres notes en hochant la tête.
- Attendez j’ai à mon tour une question à vous poser, mademoiselle.
- Je vous écoute.
- Vous, vous qui êtes là ici et maintenant en face de moi, … vous m’avez lu ?
- Heu… non.
- Hé bien voilà si vous voulez savoir pourquoi les critiques littéraires ne lisent pas mes livres posez-vous à vous même la question pourquoi vous n’avez jamais eu la curiosité d’ouvrir un de mes ouvrages.
Quand l’article parut une semaine plus tard, le titre était entre guillemets :
« SI LES CRITIQUES CONTINUENT DE REFUSER DE ME LIRE JE VAIS ARRETER D’ECRIRE ».
J’appelais mon éditeur pour demander si je devais envoyer un droit de réponse vu qu’on mettait en titre et entre guillemets l’exact contraire de ce que je venais de déclarer. Il me dit que de toute façon très peu de gens lisaient ce genre d’article, a fortiori dans cette rubrique et dans ce magazine, donc mieux valait les ignorer que de leur faire de la publicité.
L’histoire eu pourtant une suite. Deux ans plus tard je racontais cet épisode et son étrange achèvement avec l’article « COUP DE GUEULE » dans les moindres détails et sur le ton de l’humour a une émission de la même chaine radio du dit célèbre critique et chef de rubrique. Il prit grand ombrage que cette anecdote soit révélée. Du coup il fit écrire par un de ses journalistes « sniper » une double page de mépris et d’insultes avec ma photo en grand dans sa rubrique.
Ainsi finalement je l’ai eu mon « article » dans ce magazine. Ce n’était pas une critique d’un de mes romans mais une critique directe de ce que j’étais.
Un emmerdeur.
A ce jour je ne pense pas que cet homme d’influence sache ce truc si mystérieux que son fils a trouvé dans mes romans qui lui a tout d’un coup débloqué le gout de la lecture.
Et il ne comprendra pas non plus pourquoi ce dernier refuse obstinément de lire les ouvrages de son père.
Finalement, tout va très bien, il y a une justice.
* * *
Histoires vécues
11.12.2017

DONC
MARDI 12 DECEMBRE
AUBAGNE
Espace des Libertés
av. Antide Boyer – Aubagne
18h Conférence animée par Philippe Vallet
Suivie d’une séance de dédicaces
PUIS LE LENDEMAIN
MERCREDI 13 OCTOBRE
TOULON
18h Theatre le COLBERT
17.12.2017

Donc pour le module 2 des Master class "écrire" la date est fixée au Samedi 20 janvier de 14h30 à 18h30. Les thèmes abordés seront :
Créer un squelette d'histoire, gérer la montée dramatique, gérer la psychologie des personnages, le Climax, les dialogues, le style, gestion du suspense.
Et accessoirement l'art de trouver du temps pour écrire et de l'énergie pour recommencer afin de s'améliorer....
PS : on peut venir au module 02 sans avoir été au module 01 qui parlait de trouver l'idée de roman et libérer sa créativité naturelle.
https://www.weezevent.com/bernard-werber-master-class-ecrire-une-histoire-module-2
22.12.2017

HISTOIRE REELEMENT VECUE N°08 -
“INTERVIEW DE SERGE GAINSBOURG”
C'ETAIT EN NOVEMBRE 1980 A LA FNAC DE TOULOUSE.
Je me souviens.
C’était en Novembre 1980, et ce fut ma première interview de star. Je venais de créer mon second journal fanzine, EUPHORIE (après la SOUPE A L'OZENNE, mon premier journal), et afin d’alimenter la rubrique culture j’étais parti avec mon ami Eric Ledreau a la FNAC de Toulouse pour tenter d’interviewer Serge Gainsbourg qui venait de sortir son roman EVGUENIE SOKOLOV (roman sur un artiste solitaire et pétomane).
Serge Gainsbourg était assis devant ses piles de livres et les gens étaient tellement impressionnés qu’ils n’osaient pas approcher.
Ils formaient donc un cercle autour de lui sans que quiconque n’ose franchir cet espace pour lui demander un livre dédicacé ou un autographe. Certains prenaient de loin des photos.
Eric Ledreau me dit “Bon c’est le moment ou jamais, Bernard, vas y essaye de lui parler”.
Alors je suis arrivé avec mon petit magnétophone Sony et je me suis présenté comme journaliste d’un simple fanzine toulousain. Il a paru trouver cela sympathique et j’ai demandé si je pouvais l’interviewer. Comme il voyait que les gens restaient encore à distance et n’osaient toujours pas l’approcher il a souri et il m’a dit qu’il était dispo et qu’à priori on avait du temps.
Il parlait très très doucement et je devais lui demander de répéter plusieurs fois ses phrases pour être sûr de comprendre. De même quand je posais des questions il n’entendait pas bien et c’est lui qui me demandait de répéter.
Après quelques questions banales sur son roman il m’a tout d’un coup fixé et il m’a dit “Tu vois le drame de ma vie c’est le masque. Il y a Gainsbourg et il y a Gainsbarre. Mais à force de jouer avec un masque, le masque me colle au visage et je n’arrive plus à le décoller”.
Puis il m’a fixé dans les yeux et il m’a dit “Si j’ai un conseil à te donner, petit, ne prends jamais de masque. Au début c’est pratique après on ne peux plus s’en débarasser”.
Je n’ai jamais pris de masque (je n’ai ni perruque, ni cheveux teints, ni même lentilles de contacts, je m’assume en tant que chauve à lunettes) mais j’ai vu les dégats que cela produisait sur ceux qui en prenaient, ceux qui voulaient paraître différents de ce qu’ils étaient vraiment pour épater ou pour tromper leur entourage.
Cela finit par les fatiguer, puis cela finit par les ronger. Ils ne savent plus qui ils sont vraiment et ils se retrouvent à devoir tout le temps jouer un rôle, celui qu’ils croient qui va les rendre plus sympathiques.
Voilà alors que ce souvenir me revient je voulais vous en parler, car peut être certains parmis vous hésitent à se faire passer pour autre chose qu’eux mêmes afin d’aller plus vite ou de séduire.
Il y a forcément un contre coup.
Merci à Serge Gainsbourg s’il m’entend pour ce conseil que je n’ai jamais oublié.
Histoires vécues
25.12.2017
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Sortie le 25 septembre 2023
Paru le 27 septembre 2022
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